Jeison Rujano : "J'ai suivi mon propre chemin"
Après deux expériences avortées à cause de la crise sanitaire, Jeison Rujano découvre enfin l’Espagne cette saison. Le Vénézuélien a rejoint le club galicien Cortizo quelques semaines après le Tour de Táchira. À 20 ans, il souhaite rattraper le temps perdu et se mettre à rêver d'une carrière aussi accomplie que celle de son père José, ancien triple vainqueur d'étape et troisième du Giro. À la découverte de Jeison Rujano.

"La pandémie a tout chamboulé"
Comment as-tu débuté le cyclisme, quelle a été l'influence de ton père José dans ta progression ?
J'ai débuté, en 2015, dans la région andine du Venezuela, au sein de l’État de Mérida, à côté de Táchira. J'ai suivi mon propre chemin. Au début mon père n'aimait pas l'idée que je pratique le vélo en compétition, il savait que c'était un sport très exigeant nécessitant énormément de sacrifices pour pouvoir en vivre. Peu importe le message qu'il m'envoyait, pour moi c'était impossible de laisser ma chance d'être cycliste à mon tour. Si j'ai toujours été en relation avec mon père, je n'ai pas grandi à ses côtés. Donc au début, je faisais du vélo dans mon coin sans le déranger.
Puis quand j'ai commencé à progresser, le cyclisme nous a peu à peu uni. Je me suis rapproché de mon père lorsqu'il a arrêté le vélo, auparavant je ne le voyais pratiquement jamais. Me voir atteindre un excellent niveau lui a donné l'envie de reprendre sa carrière, en 2018, pour pouvoir courir avec moi. Nous souhaitions disputer un Tour de Táchira ensemble et nous l'avons fait en 2021 dans la même équipe (Osorio Group, ndlr). Cette participation commune a été un moment magnifique que je n'oublierai jamais.
José ambitionne-t-il toujours un retour en Europe à 40 ans ou s'est-il retiré définitivement ?
Il a pris à nouveau sa retraite mais lors de son précédent retour il avait l'ambition de retourner courir en Europe. Il a tout fait pour y parvenir malgré le contexte vénézuélien, car dans notre pays il n'y avait pas d'équipes rémunérant les coureurs. Avec la sélection vénézuélienne, il a participé au Tour de San Juan et au Tour Colombia 2.1, en 2020.
Il retrouvait un très haut niveau mais la pandémie de Covid-19 est arrivée à ce moment et a tout chamboulé, ses plans de retour en Europe, mais aussi les miens. Je quittais alors la catégorie Juniors pour celle Espoirs. Je discutais avec un club espagnol d'Alicante mais en raison de la crise sanitaire je n'ai pas pu voyager, cela s'est ensuite reproduit en 2021.

"Les épreuves colombiennes sont très exigeantes"
Quel type de coureur es-tu ?
Je me vois comme un bon grimpeur. Je mesure 1 mètre 64 pour un poids tournant autour de 52 kg. J'apprécie les ascensions longues de dix kilomètres avec des forts pourcentages, par exemple sur des pentes de 12%, là où mon gabarit m'avantage. À Mérida, je ne vis pas très haut en altitude, à seulement 500 mètres au-dessus du niveau de la mer, mais lors de mes entraînements je peux atteindre les 2000 mètres d'altitude.
Tu as été champion du Venezuela du contre-la-montre chez les Juniors, Espoirs et Elites, est-ce une discipline que tu affectionnes ?
Chaque année, je cherche à progresser en montagne mais aussi en contre-la-montre. J'ai toujours performé dans cet exercice lors des Championnats du Venezuela, même si je suis conscient qu'il reste du travail. L'effort solitaire est une discipline à part, il faut être tout le temps à la limite et être fort mentalement pour tenir la distance à une telle intensité.
Comment s'est déroulée ton expérience colombienne l'an passé ?
L'année dernière, j'ai énormément appris, en Colombie, avec l'équipe SisteCredito GW. C'est la première fois que j'ai autant couru. En Cadets et Juniors au Venezuela, je disputais seulement cinq courses par an. La Fundación Venezuela País de Futuro faisait tout son possible pour nous envoyer courir en Colombie mais c'était très difficile.

Donc l'an dernier, j'ai pris davantage confiance en moi. Les courses colombiennes sont très dures, rien que pour les terminer, en raison de l'altitude et du dénivelé. Je me souviens que lors d'une étape du Clásico RCN, nous étions à plus de 3600 mètres d'altitude et qu'il devenait difficile de respirer. L'an passé, j'ai également pris part au Championnat Panaméricain U23 en République dominicaine.
À quel niveau as-tu le plus appris ?
Il y a tellement de coureurs en Colombie que de nombreuses équipes alignent plusieurs compositions sur les courses. Donc, dans des pelotons aussi conséquents, on est obligé d'apprendre à frotter et à se replacer à l'avant.
Quel bilan tires-tu de ton troisième Tour de Táchira, achevé aux portes du top 20 et à la deuxième place au classement des jeunes ?
Je suis satisfait de ma performance, même si l'année prochaine je voudrai y obtenir de meilleurs résultats. Je me sentais plus confiant pour ma troisième participation. Je connais les étapes et c'est toujours important lorsqu'on traverse une période de crise et que l'on ne sent pas très bien. Le Tour de Táchira est tout sauf facile, de nombreux étrangers qui y participent n'arrivent pas à le terminer. Rien que l'ascension de la Casa del Padre est hors catégorie, ce sont des pentes extrêmement difficiles et le public est très important dans ces moments-là pour nous motiver.

"Nous sommes plusieurs Latino-Américains"
Peux-tu nous raconter ton arrivée en Espagne ?
Cela fait trois semaines que je suis arrivé à Padrón, en Galice. C'est ma première expérience en Europe. Ici tout est nouveau pour moi. Je découvre une autre façon de courir avec des pelotons plus conséquents. C'est aussi beau que lorsque je regardais les courses espagnoles à la télévision, enfant. Je n'oublierai jamais ma première compétition à Almagro (Mémorial Manuel Sanroma, ndlr), seulement deux jours après mon arrivée en Espagne.
Comment fonctionne l'équipe Cortizo ?
Le sponsor principal est Cortizo. Nous sommes plusieurs Latino-Américains. Mes coéquipiers sont le Chilien Héctor Quintana, l'Argentin Agustín del Negro, l'Uruguayen Eric Fagúndez et le Costaricain John Jiménez. Les directeurs sportifs s'appellent Suso Blanco Villar et Marcos Serrano (vainqueur d'étape sur le Tour de France 2005 ndlr), qui s'occupe de l'équipe U23 et qui a été cycliste professionnel. Nous sommes très bien traités. On sent une belle atmosphère au fur à mesure que l'on apprend à se connaître.

"Je serai sur la Coupe d'Espagne"
Sur quelles épreuves te verra-t-on en 2022 ?
Cette année, je disputerai les manches de Coupe d'Espagne sur lesquelles mon équipe m'alignera. Les directeurs sportifs décideront des compositions selon les profils de chacun.
De nombreux Vénézuéliens sillonnent le calendrier espagnol, as-tu déjà revu des visages familiers ?
Il y a peu lors d'une manche de Coupe d'Espagne, j'ai retrouvé deux amis vénézuéliens : Franklin Chacón (Manuela Fundación, ndlr) et Francisco Peñuela (Drone Hopper - Gsport - Grupo Tormo, ndlr) avec qui j'ai vécu et couru longtemps au Venezuela. Ça m'a fait plaisir de revoir Francisco après quasiment trois ans où il ne rentrait plus au Venezuela.
Serait-ce un rêve d'imiter ton père en évoluant en Italie, comme lui au sein de la formation Drone Hopper - Androni Giocattoli ?
Depuis que je suis petit, je vois l'équipe Androni et Gianni Savio débarquer chaque année dans mon pays pour disputer le Tour de Táchira, c'est le rêve de tout Vénézuélien de faire partie de cette structure. Je dois continuer à travailler dur pour qu'un tel moment arrive et les convaincre de m'offrir une opportunité.
PROPOS RECUEILLIS PAR AYMERIC PEZE