Paul Daumont : "J'espère ouvrir la voie"
Les Jeux Olympiques pour se montrer. Paul Daumont représente le Burkina Faso à Tokyo. Double vainqueur d'étape sur le Tour du Cameroun, le Tour du Mali et le Grand Prix Chantal Biya mais aussi maillot jaune du Tour du Bénin et du Tour de Côte d'Ivoire, le pensionnaire du Centre mondial du cyclisme est une terreur sur son continent. À
21 ans, il souhaite se porter à l'avant de la course au Japon afin de se donner toutes les chances de rejoindre une équipe professionnelle. À
la découverte d'un jeune qui veut casser les codes et ouvrir la voie à toute une génération.
Paul, comment avez-vous débuté le cyclisme ?
J'ai commencé le cyclisme en 2017. C'est l'année de ma première licence. Je viens du VTT que je pratiquais en loisir. Je voulais débuter les compétitions mais comme il n'y en avait pas dans cette discipline au Burkina Faso, je me suis plutôt mis au cyclisme sur route. Celui qui deviendra ensuite mon premier entraîneur m'a prêté son vélo de route car il en avait deux (un de route et un VTT) afin que je vois ce que cela donnerait. Ensuite, j'ai été repéré par un club lors d'une sortie d'entraînement du dimanche durant laquelle j'ai suivi ses membres.
Pensez-vous qu'il y a suffisamment de compétitions et de concurrence au Burkina Faso et en Afrique de l'Ouest pour progresser ?
Pour progresser oui, mais pour avoir un niveau équivalent à celui que l'on trouve en Europe non. Il y a quand même beaucoup de courses. Cette année, quand je suis arrivé en Suisse, j'avais environ une vingtaine de jours de compétition dans les jambes. Entre des épreuves d'une semaine comme le Tour du Mali, le Tour du Bénin, le Tour du Cameroun et quelques courses nationales. Par année, on se situe autour des dix compétitions de niveau national au Burkina Faso. Donc c'est positif mais le niveau n'est pas le même qu'en Europe. Sur tout le continent, il y a de nombreux tours mais ils ne sont pas très bien côtés. Même si tu gagnes des étapes, cela a peu de valeur en Europe.
Comment avez-vous rejoint le Centre mondial du cyclisme à Aigle-Martigny ?
En 2018, j'ai pris la cinquième place du Tour de l'Espoir, qui est inscrit à la Coupe des Nations U23, et le Centre m'a repéré. Ils m'ont proposé un stage d'entraînement en Afrique du Sud que j'ai réalisé avec succès. À la suite de ce stage, j'ai pu me rendre en Suisse pour franchir un autre cap. L'année suivante, je n'y suis pas retourné car j'avais mes études et ma licence à poursuivre.
J'y suis maintenant retourné pour disputer le Tour de l'Avenir avec l'équipe du Centre mondial du cyclisme. Ils m'ont choisi car ils ont l'ambition de structurer une équipe africaine et mes résultats en 2021 étaient particulièrement bons, notamment avec ma médaille de bronze lors du contre-la-montre des Championnats d'Afrique ainsi que mes différentes victoires sur plusieurs tours africains.
Qu'avez-vous appris en Suisse ?
Le Centre mondial du cyclisme est un centre de formation qui vient en aide aux coureurs venant de pays ayant du mal à s'en sortir. Il leur permet de rejoindre l'Europe et de s'entraîner comme s'ils faisaient partie d'une équipe professionnelle. Le centre apporte une aide logistique et met tout en place pour que l'on puisse ensuite devenir professionnel. On apprend beaucoup de choses sur la nutrition. Ce que l'on mange est très différent de ce que l'on mangerait dans notre pays. La discipline, la rigueur des entraînements et le matériel font également partie de l'apprentissage.
Pouvez-vous nous raconter une journée type au Centre ?
Au centre, on se réveille afin d'être prêt pour le petit déjeuner, prévu de 7h30 à 8h30. Ensuite, on part s'entraîner soit le matin soit l'après-midi, cela dépend de notre emploi du temps avec notre entraîneur. Le déjeuner a lieu de 12h à 14h et le dîner de 18h30 à 19h30. Quand on est en fin de saison et parfois en milieu de saison, on a également des blocs d'entraînement à la salle de musculation pour ceux qui pratiquent le cyclisme sur route. On a aussi des applications comme TrainingPeaks où le coach peut rentrer toutes les charges d'entraînement. Nous on a des compteurs Garmin qui nous sont fournis à notre arrivée. Ils envoient directement au coach nos données après chaque séance afin qu'il étudie notre progression via les capteurs de puissance et les électrocardiogrammes.
Que manque-t-il aux pays d'Afrique de l'Ouest pour avoir de grands coureurs comme l’Érythrée et l'Afrique du Sud ?
Selon moi, il manque de l'accompagnement. J'ai l'impression que cette partie de l'Afrique est délaissée. C'est une sorte de spirale infernale : pour avoir de bons résultats il faut de l'accompagnement, mais les gens offrent cet accompagnement que lorsqu'il voit qu'il y a des résultats. Sauf qu'on ne peut pas être performant sans accompagnement. On se retrouve donc bloqué dans cette spirale. C'est ce qui a permis à l'Érythrée, à l'Afrique du Sud mais aussi au Rwanda de prendre une longueur d'avance et de nous faire passer pour des coureurs qui n'ont pas le niveau ou les capacités de rivaliser avec eux.
Sinon, il n'y a pas de raisons qu'ils soient plus forts que nous, hormis le fait que les coureurs de ces pays vivent en altitude. Le Burkina Faso est un pays tout plat qui affiche à peine 300 mètres d'altitude, mais je pense que s'il y avait un accompagnement des différentes instances internationales, en particulier envers les jeunes, nous serions meilleurs.
Le problème en Afrique de l'Ouest, c'est qu'on ne débute pas le cyclisme suffisamment tôt. C'est un sport coûteux, donc pour des pays déjà en difficulté économiquement, injecter de l'argent dans le cyclisme est compliqué. Par exemple, on n'a pas de vélodromes pour apprendre aux enfants à courir dès le plus jeune âge. En quinze ans, je suis seulement le troisième burkinabé qui a eu la chance d'aller en Suisse. C'est également un jeu de poker. Il faudrait que les gens nous fassent confiance comme ils l'ont fait auparavant avec les Érythréens et les Rwandais.
Quel est votre objectif lors des Jeux Olympiques ?
Je pense que l'objectif est de faire partie de l'échappée matinale ou peut-être d'un groupe de contre un peu plus loin dans la course. C'est le meilleur moyen pour moi de me faire remarquer. Je suis dans une phase de ma carrière où j'ai besoin de faire l'étalage de mes capacités et d'intégrer une grande équipe. Ce n'est pas en restant bien au chaud dans le peloton que je pourrai montrer cela car je sais très bien que les chances que je puisse faire un super résultat à l'arrivée sont très faibles.
La course en ligne est longue de 234 kilomètres. Avez-vous déjà disputé une telle distance en course ?
Non, je ne l'ai jamais fait. Ça sera la première fois que je dispute une distance aussi longue en course. Je suis déjà allé jusqu'à 200 kilomètres mais ce n'était pas le même niveau. J'espère que le climat du Japon, qui ressemble à celui du Burkina Faso, m'avantagera par rapport à mes adversaires.
Où logez-vous au Japon ?
Au Japon, je loge à Fuji Lake, un hôtel au bord d'un lac pas très loin du Fuji Speedway où sera jugée l'arrivée. Ce matin, j'ai reconnu l'arrivée sur le circuit. J'ai fait plusieurs tours pour me familiariser. Une crevaison m'a empêché de reconnaître la suite du parcours. Je repèrerai donc le parcours du contre-la-montre jeudi.
Connaissez-vous les autres membres de la délégation burkinabé, le Burkina Faso peut-il décrocher sa première médaille olympique ?
Je connais notre porte-drapeau Hugues Fabrice Zango uniquement via les réseaux sociaux car nous n'avons encore jamais eu l'occasion de nous rencontrer. Il vit en France à la fois pour ses études et sa carrière. C'est l'un des grands favoris en triple saut. Il est recordman du monde en salle et a déjà battu les meilleurs mondiaux. Je pense que lui et notre athlète féminine Marthe Koala (heptathlon et 100 mètres haies) sont nos meilleures chances. Une médaille d'or serait une très grande fierté pour nous tous.
Quel est votre rêve ?
Mon rêve est de rejoindre une équipe professionnelle et de participer aux plus grandes courses. J'aimerais pouvoir dire que j'y suis arrivé, parce que c'est très difficile d'où je viens, et rendre fier mon pays. On travaille et on souffre tous les jours pour cela. J'espère ouvrir la voie aux jeunes cyclistes burkinabè et africains, qui sont derrière moi, et rêvent aussi d'être professionnels. J'aimerais leur montrer que c'est possible d'aller au bout des choses.
PROPOS RECUEILLIS PAR AYMERIC PEZE